L’isthme européen Rhin-Saône-Rhône dans la Protohistoire.
Approches nouvelles en hommage à Jacques-Pierre Millotte ; Besançon, 16 -18 octobre 2006.
Richard (A.), Barral (P.), Daubigney (A.), Kaenel (G.), Mordant (C.) et Piningre (J.-F.) dir. –
Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2009,
(Annales Littéraires ; Série « Environnement, sociétés et archéologie »)
La consommation et La circuLation du métaL
à L’âge du Bronze dans Le Jura et Les pLaines
de La saône
esteLLe gauthier*
Résumé
Il s’agit ici de comparer les résultats d’une thèse de doctorat portant sur une analyse des évolutions spatiales de la consommation
du bronze dans l’Est de la France à une étude similaire faite à l’échelle plus restreinte des plaines de Saône et du Jura occidental.
La mise en place d’un SIG offre la possibilité de développer des méthodes d’analyses, en particulier les statistiques spatiales et
l’algèbre de carte, qui apportent une vision nouvelle de l’espace en archéologie.
Abstract
The objective is to compare the results obtained from a PhD dissertation dealing with the spatial evolutions of metal consumption
during the Bronze Age in Eastern France, and a similar analysis made on the plains of the Saône and the western part of the Jura.
The use of a GIS makes it possible to develop some methodologies (statistical analysis and map algebra), which introduce a new
vision of the space in Archaeology.
Zusammenfassung
Der Beitrag vergleicht die Ergebnisse einer Doktorarbeit, die einer Untersuchung räumlicher Entwicklungen der bronzezeitlichen
Metallwirtschaft im östlichen Frankreich galt, mit einer ähnlichen Studie, die sich auf den Bereich der Saône und des westlichen
Jura beschränkt. Der Einsatz eines GIS ermöglicht die Anwendung und Entwicklung spezifischer Analysemethoden (insbesondere
raumbezogene Statistik und Kartenalgebra), durch die sich eine neue Sicht der räumlichen Dimension in der Archäologie ergibt.
(traduction S. Wirth)
* Maître de Conférences
Université de Franche-Comté, UFR Lettres et Sciences humaines, 30-32 rue Mégevand, F -25030 Besançon cedex ;
estelle.gauthier@univ-fcomte.fr
145
L’isthme européen Rhin-Saône-Rhône dans la Protohistoire
La thèse de Jacques-Pierre Millotte est un document important pour notre connaissance des âges
des métaux dans le Jura et les plaines de Saône,
puisqu’il offre un inventaire complet et une analyse détaillée des découvertes protohistoriques de la
région. Ce colloque lui rendant hommage est l’occasion de revisiter les données qu’il avait obtenues
40 ans plus tôt, enrichies des découvertes publiées
depuis lors. En 2005, une thèse de doctorat1, traitant de la consommation du métal dans l’Est de
la France et la Transdanubie, a renouvelé l’analyse spatiale que J.-P. Millotte avait proposée par
l’usage de nouveaux outils d’analyse. Cette étude
permet de faire le point sur ces données actuelles analysées par des méthodes récentes issues de
l’Archéologie quantitative et des Systèmes d’Information Géographique. L’objectif est ici de caractériser les évolutions des différents paramètres de la
consommation du métal, puis de montrer les déplacements des principaux centres de consommation
du bronze, en relation avec des facteurs culturels,
sociaux, économiques ou environnementaux. Face
à un changement d’échelle d’analyse, les tendances observées sur l’ensemble de la France orientale
seront-elles les mêmes à l’échelle du Jura ?
1. paramètres de L’étude
français et hongrois (Hatt 1954, Kemenczei 1984,
Brun et Mordant 1988) y trouvent chacun leurs
correspondances. Il fallait aussi limiter le nombre
d’étapes à étudier de manière à suivre des tendances évolutives représentatives de véritables
changements sur le long terme. Il convenait enfin
que le découpage puisse rendre compte de phases
communes à ces deux régions situées à chaque
extrémité du complexe culturel nord-alpin. Bien
qu’il s’agisse de zones éloignées ayant accueilli des
cultures différentes, on constate des points communs : une première phase correspond à la culture
des Tumulus ou à ses extensions : le Bronze B et
le Bronze C de Reinecke, ici appelé Bronze moyen.
Puis une phase dynamique de transition et de
transformations couvre le Bronze D et le HA1,
ici dénommée Bronze final 1 ; avant d’aboutir à la
phase encore appelée en Hongrie, la « culture des
champs d’urnes » (Kemenczei 1984) et en France,
le « groupe Rhin-Suisse-France orientale » (Brun
et Mordant 1988), correspondant à une même
étape. Cette dernière regroupe le HA2 et HB1 et
est ici nommée Bronze final 2. Enfin le HB2-3, ici
Bronze final 3, est une nouvelle phase de transformations, bien connue en France orientale mais
beaucoup moins en Transdanubie. La conservation
de ce découpage permet ainsi de comparer les études faites à différentes échelles et dans différentes
régions.
1.1. zone d’étude
1.3. Les données
La zone choisie par J.-P. Millotte (Millotte 1963)
concernait le Jura et les plaines de Saône. Pour des
raisons pratiques, seuls les plaines de Saône et le
Jura occidental (partie française) ont été étudiés
ici, s’agissant de la zone commune à l’étude de
J.-P. Millotte et aux travaux sur lesquels se fonde
cette présentation. (Gauthier 2005a).
1.2. choix portant sur la chronologie
La période considérée s’étend du Bronze moyen à
la fin du Bronze final, période pendant laquelle la
métallurgie du bronze se développe sur l’ensemble de l’Europe. Comme cette étude se base sur
une précédente recherche, faite à une plus petite
échelle, le découpage chronologique qui avait été
choisi pour celle-ci a été conservé. Afin de comparer France orientale et Transdanubie, il était plus
commode d’utiliser comme base le système chronologique de P. Reinecke, car les systèmes actuels
1. Tous mes remerciements vont aux membres du jury de mon
doctorat : mes directeurs, Claude Mordant et Miklós Szabó,
et les personnalités qui ont jugé mon travail, Françoise Pirot,
Zoltán Czajlik, Jean Bourgeois et François Favory que je suis
heureuse d’avoir rejoint au sein de l’université de FrancheComté et du laboratoire Chrono-Environnement - UMR 6249.
146
Les données ont été recueillies dans la bibliographie et le travail de J.-P. Millotte y tient une large
place. Toutes les découvertes ont été intégrées dans
une base de données sous forme d’unités de découverte, chacune pouvant correspondre à un habitat,
un dépôt, une tombe ou une trouvaille isolée. Seuls
les objets métalliques ont été inventoriés.
Les dépôts, les tombes (et peut-être aussi les trouvailles isolées, pour la fréquence des trouvailles
de même nature, plus particulièrement en rivières) peuvent être interprétés comme des lieux de
« thésaurisation » (Gauthier 2005a). Il faut entendre par là des contextes dans lesquels la mise en
terre (ou bien l’immersion) des bronzes a privé la
société de la quantité de métal que ces objets pouvaient représenter. Etant mis à l’écart du circuit de
consommation, ce métal n’a pu être recyclé. Par
définition, la thésaurisation est le fait de mettre de
côté une certaine quantité d’objets ou de valeurs
sans les utiliser et sans les faire fructifier. Bien sûr,
les raisons de ces thésaurisations jouent sur les
quantités mises à l’écart : s’il s’agit d’actes culturels (funéraires, votifs…), la déposition de mobilier
évolue en même temps que ces pratiques. Il peut
s’agir d’actes sociaux et, dans ce cas, la déposition
E. Gauthier - La consommation et la circulation du métal à l’âge du Bronze dans le Jura et les plaines de la Saône
dépendra aussi de la structure sociale et de l’organisation des territoires. Il peut encore s’agir d’actes
à but économique : priver la société d’une certaine
quantité de métal pour augmenter sa valeur ou
prévoir un stock à recycler. Les besoins des populations jouent donc beaucoup. Les quantités thésaurisées évoluent en fonction de différents paramètres, mais quelle qu’en soit la motivation, le fait
est que cet acte a une incidence sur la quantité de
métal disponible, car maintenir son niveau implique de se réapprovisionner par la suite.
La thèse de J.-P. Millotte (Millotte 1963) est une
source de connaissances importante pour le Jura
et les plaines de Saône. Ces données ont donc été
intégrées et augmentées des découvertes publiées
depuis lors (Gauthier 2005a, catalogue et bibliographie). Ainsi, 634 lieux de découvertes et 1559
objets étaient déjà connus dans le corpus de 1963 ;
le corpus actuel comporte 1630 unités de découverte et 3380 objets. Cette augmentation importante ne permet pas de compenser les manques
dans certaines zones, puisque les régions les plus
denses l’étaient déjà auparavant et ont été encore
enrichies depuis (fig. 1). Il s’agit notamment de la
moyenne vallée de la Saône, les régions de Lons-leSaunier, Besançon, Montbéliard, Amancey, Clucy,
Champagnole, Chavéria, Quitteur, Pontailler-surSaône, Mulhouse, Dompierre-sur-Veyle, Marnay,
Sancey, Chaux-les-Port, pour ne citer que les plus
importantes. À l’inverse, les régions de Rioz,
Morteau, Maiche, Saint-Hippolyte, Villersexel,
Mouthe, Morez, les Bouchoux, Lhuis, Villars-lesDombes, Saint-Priest, Mornant, Bourg-en-Bresse,
Montret, Saint-Martin-en-Bresse, Saint-Germaindu-Bois, Montbarrey, Genlis, Lure, Giromagny ou
Huningue ont fourni très peu de découvertes de
cette période. Il est difficile de savoir s’il s’agit de
vides archéologiques ou de biais dans la documentation. Ces régions seront donc ici très peu commentées. Mais d’autres zones, comme la vallée de
la Saône qui a bénéficié des nombreuses recherches
de L. Bonnamour, paraîtront, au contraire, systématiquement très riches, au risque d’aboutir parfois à des effets de « sur-représentations ». En tout
état de cause, elles sont des lieux de consommation
du bronze et elles ont fourni des découvertes nombreuses qui sont autant d’indices précieux pour l’interprétation des évolutions de l’utilisation du métal
dans le Jura occidental et les plaines de Saône.
2. protocoLe d’étude
Les analyses auront pour but de comprendre
les évolutions des modes de consommation du
bronze et de la répartition des principaux lieux
de consommation dans la zone d’étude. Elles se
feront en cinq étapes.
2.1. étude de l’évolution générale de la
consommation et de la thésaurisation par
l’analyse quantitative des découvertes
Il s’agit de comprendre la place accordée à la
consommation du métal, de décrypter ses augmentations, ses diminutions ainsi que la place accordée
à la thésaurisation face au recyclage. C’est par la
combinaison d’un ensemble d’analyses, que l’on
peut comprendre les transformations des modes
de consommation du métal. Les paramètres pris
en compte sont exposés ici, leur interprétation sera
ensuite expliquée au paragraphe 3.1. Ils sont appliqués successivement à chaque étape du Bronze
moyen au Bronze final. Il s’agit des paramètres
suivants (fig. 2) :
- le nombre d’unités de découverte qui donne
une idée de la fréquence des lieux potentiels de
consommation du bronze,
- le nombre moyen d’objets et la masse moyenne
des objets par unité de découverte, donnant des
indices sur la place accordée au métal dans les
lieux de consommation,
- le nombre total d’objets métalliques découverts et
leur masse totale pour rendre compte de possibles
évolutions des quantités consommées,
- leur masse moyenne pour évaluer les évolutions
des quantités de métal nécessaires à la production
des objets et la valeur accordée au matériau,
- la masse de métal enfouie dans les tombes et les
dépôts, comparée à la masse totale retrouvée, permet d’évaluer l’importance de la thésaurisation
face au recyclage (en supposant que le métal non
thésaurisé ait été recyclé).
2.2. étude de la production métallique et
des choix liés à la thésaurisation par des
analyses qualitatives des découvertes
En comparant les proportions des différentes
catégories fonctionnelles (armes, parures, outils,
fonderie… ; fig. 3), il est possible de caractériser
les usages du métal et les types de populations
utilisant le bronze. Le décompte du nombre de
familles d’objets existant au sein de chaque catégorie fonctionnelle indique la diversité de la production métallique (fig. 4). On pourra par exemple
noter l’apparition de nouveaux objets impliquant
de nouveaux usages du métal (outils) ou bien un
engouement pour l’utilisation du bronze face à
d’autres matériaux (parures). La comparaison des
familles d’objets produites dans la zone étudiée
avec le reste de la France orientale pourra également indiquer des spécificités régionales.
147
Densité d'objets de l'âge du Bronze
moyen et final d'après le corpus
de E. Gauthier de 2005
Augmentation de la densité d'objets
de l'âge du Bronze moyen et final
entre 1963 et 2005
GIROMAGNY
CHAUX-LES-PORT
MULHOUSE
LURE
HUNINGUE
VILLERSEXEL
MONTBELIARD
QUITTEUR
RIOZ
GRAY
PONTAILLERSUR-SAONE
COURCHAPON
BOUCLANS
BESANCON
GENLIS
SANCEY MAICHE
AUXONNE
MORTEAU
AMANCEY
MONTBARREY
CLUCY
ARBOIS
CHALON-SURSAONE
CHAMPAGNOLE
LONS-LESAUNIER
MARNAY
MOUTHE
MOREZ
TOURNUS
CHAVERIA
GEX
SANCE
nombre d'objets
1
10
nombre d'objets
1
10
100
NANTUA
BELLEVILLE
DOMPIERRESUR-VEYLE
100
densité d'objets par
surface de 225 km²
50
densité d'objets par
surface de 225 km²
438
0
0
Logiciel :ArcGis-Arc Info 9.0,
traitements : pointgrid (500m),
focalsum (225 km ²),
E.Gauthier, Université de Franche-Comté, octobre 2006
BOURG-ENBRESSE
100
BELLEY
LYON
VENISSIEUX
N
0
20
40
Kilomètres
Fig.1. Évolution du corpus des découvertes de l’âge du Bronze moyen et final entre 1963 et 2005. (E. Gauthier)
Augmentation de la densité
d'objets entre 1963 et 2004
0
L’isthme européen Rhin-Saône-Rhône dans la Protohistoire
148
Densité d'objets de l'âge du Bronze
moyen et final d'après le corpus
de J.-P. Millotte de 1963
E. Gauthier - La consommation et la circulation du métal à l’âge du Bronze dans le Jura et les plaines de la Saône
nb total sites
400
675
595
1158
BM
BF1
BF2
BF3
nb total
objets
353
633
513
1001
masse totale
95671
111899
64785
115313
masse
moyenne
857
177
126
115
nb moyen
d'objets par
site
1,37
2,17
2,38
2,12
masse moy.
par site
456
448
483
365
Fig. 2. Évolution
générale des
découvertes.
(E. Gauthier)
valeurs faibles
valeurs fortes
figure 2 : Evolution générale des découvertes
Fig. 3 Proportion des différentes catégories fonctionnelles par étape
Bronze moyen
Bronze final 1
arme
arme
divers
divers
fonderie
fonderie
hache
hache
outil
outil
parure
parure
Bronze final 2
nombre de familles
armes
outils
parures
figure 4 :
Bronze final 3
arme
arme
divers
divers
fonderie
fonderie
hache
hache
outil
outil
parure
parure
BM
4
4
3
BF1
4
6
9
BF2
7
8
9
BF3
4
10
13
Evolution du nombre de familles par catégorie fonctionnelle
Fig. 3. Évolutions
de la proportion des
différentes catégories
fonctionnelles au
sein de la production
métallique.
On remarque
notamment le
développement de
la part représentée
par les outils,
qui témoigne
de la diversification
des usages du métal
et de sa diffusion
dans toutes les
couches de la société.
(E. Gauthier)
Fig. 4. Évolution du
nombre de familles par
catégorie fonctionnelle.
Au cours du Bronze final,
les objets produits ont
tendance à se diversifier,
en particulier les
outils, toujours plus
nombreux et variés.
Le bronze est alors
utilisé dans la plupart
des activités
de la vie quotidienne.
(E. Gauthier)
149
Habitats du Bronze final 2
Habitats du Bronze final 3
parures
armes
divers
fonderie
haches
outils
Sépultures du Bronze moyen
Sépultures du Bronze final 1
Sépultures du Bronze final 2
Sépultures du Bronze final 3
Dépôts du Bronze moyen
Dépôts du Bronze final 1
Dépôts du Bronze final 2
Dépôts du Bronze final 3
Fig. 5. Proportions des différentes catégories fonctionnelles par type de site et par période. (E. Gauthier)
L’isthme européen Rhin-Saône-Rhône dans la Protohistoire
150
Habitats du Bronze final 1
E. Gauthier - La consommation et la circulation du métal à l’âge du Bronze dans le Jura et les plaines de la Saône
Enfin, les objets retrouvés dans les différents
contextes de découvertes donneront des indications
plus précises sur l’usage du métal (fig. 5) : les objets
trouvés en habitats représentent des éléments de
la vie quotidienne souvent peu nombreux, laissés
sur place à l’abandon du site. Les objets thésaurisés
ont au contraire été sélectionnés préalablement à
leur mise en terre et leur proportion ne reflétera
pas nécessairement la réalité de l’usage du métal,
mais plutôt des pratiques spécifiques. Néanmoins,
ils sont souvent des témoins de la production que
l’on ne rencontre pas en contexte d’habitat.
Tous ces points permettront d’appréhender les différents paramètres de la consommation du bronze :
les besoins en métal, les modes d’utilisation du
bronze, la différenciation de la valeur économique
et sociale des objets produits, la représentativité
de la thésaurisation et sa place face au recyclage
(Gauthier 2005a).
2.3. étude des évolutions de la répartition
des découvertes par des analyses spatiales
Les données ont été spatialisées aux centroïdes
communaux, impliquant une imprécision de l’ordre de quelques kilomètres. La répartition des
données sous forme de points est souvent difficile à interpréter, surtout lorsqu’il s’agit de faire
des comparaisons ; mieux vaut donc observer
des densités pour mettre en valeur des zones de
concentrations. La méthode choisie ici est le calcul
de sommes focales qui permettent de calculer des
densités sur un maillage en prenant en compte le
voisinage de chaque maille. Cela permet donc de
ne plus considérer chaque maille isolément, mais
en fonction de celles qui l’entourent pour ainsi
reconstituer la continuité de l’espace. Il ne s’agit
pourtant pas d’interpoler les données, mais bien de
présenter des concentrations et parfois des phénomènes de ruptures ou de continuités (Tomlin 1990,
Gauthier 2004, Gauthier 2005b, Pirot et al. 2005).
Pour chacune des quatre phases étudiées, les
zones de plus fortes densités des unités de découverte et des objets sont ainsi combinées pour mettre en valeur les principales zones potentielles
de consommation du métal (fig. 6, n° 1 à 3). Leur
délimitation permet alors de comparer leur localisation et leurs déplacements au cours du temps ou
encore de montrer leur stabilité sur longue durée
(fig. 6, n° 5). La comparaison entre deux périodes
consécutives, par la soustraction des valeurs obtenues pour chacune d’elles (Gauthier 2005b) montre également des phénomènes de dispersion des
zones de consommation du métal sur l’ensemble
de la zone d’étude ou bien leur regroupement
autour d’un petit nombre de centres (fig. 6, n° 4).
Voici en détail le protocole utilisé.
– Pour chaque étape, afin d’identifier les principales zones potentielles de consommation du
métal :
- calcul des fréquences des unités de découverte et
des objets par commune,
- création d’un maillage de 500 m de côté pour les
fréquences des unités de découverte d’une part et
pour les fréquences d’objets d’autre part,
- calcul des sommes focales avec un voisinage de
15 x 15 km pour les unités de découverte puis pour
les objets : on obtient donc deux grilles des densités
de fréquence (fig. 6, n° 2),
- somme des grilles des densités de fréquence des
unités de découverte et des objets (fig. 6, n° 3),
- discrétisation des valeurs en cinq classes par la
méthode des nuées dynamiques (fig. 6, n° 5B),
- délimitation des deux classes de plus fortes
concentrations des unités de découverte et des
objets : ce sont les principales zones potentielles de
consommation du bronze (fig. 6, n° 5B).
– Pour montrer les évolutions générales de l’organisation de l’espace au cours du temps (fig. 6, n° 4) :
- soustraction des grilles obtenues pour le Bronze
final 1 et le Bronze moyen,
- soustraction des grilles obtenues pour le Bronze
final 2 et le Bronze final 1,
- soustraction des grilles obtenues pour le Bronze
final 3 et le Bronze final 2.
– Pour montrer les déplacements des principales
zones de consommation du bronze :
- superposition des zones des différentes étapes
pour suivre leurs déplacements au cours des quatre phases (fig. 6, n° 5C),
- attribution de la valeur « 1 » à chaque maille
contenue dans ces zones et somme des grilles de
chaque étape de manière à comptabiliser le nombre
d’étapes pendant lesquelles ces espaces sont considérés comme importants et montrer parfois leur
stabilité (fig. 6, n° 5D).
Résumer la distribution de tous les sites d’une
même étape en ne considérant qu’un seul point,
le « point moyen » ou « barycentre » de la distribution peut s’avérer utile pour suivre des phénomènes ayant eu une influence de grande ampleur
(fig. 7). Le déplacement du point moyen de chaque
période dans diverses directions et l’envergure de
ce déplacement montrera des phénomènes d’attraction (par exemple des influences culturelles), tandis que l’inertie des points moyens reflètera une
stabilité générale des données archéologiques dans
la zone d’étude.
2.4. recherche des paramètres privilégiés
pour l’implantation des sites (altitude
et distance aux cours d’eau)
151
3 - Combinaison des densités de sites et d'objets
par la somme des densités de fréquence
des sites et des objets pour 225 km²
2 - Calcul des densités
par la méthode des
sommes focales
BM
Nombre d'objets
1
10
BF2
BF3
densité de fréquence
des objets
(pour 225 km²)
1576962
0
No data
Nombre de sites
1
10
N
BF1
2619907
61349
No data
4435118
61349
No data
3197334
61349
No data
12197169
61349
No data
4 - Différence
entre deux
périodes
consécutives
densité de fréquence
de sites
(pour 225 km²)
1717791
61349
No data
diminution
0
40
80
Km
différence
BF1-BM
différence
BF2-BF1
différence
BF3-BF2
stabilité ou
absence de données
augmentation
5 - déplacements des principales
zones de consommation du métal
A partir de la carte (A) présentant la somme des densités de
fréquence des sites et des objets d'une même phase (ici le BM),
les valeurs sont ensuite discrétisées en 5 classes par la méthode
des nuées dynamiques (B). Les deux premières classes sont
délimitées et représentent les principales zones potentielles
de consommation du métal pour cette phase. On peut alors
comparer la position relative de ces zones au cours des
4 étapes considérées pour suivre leurs déplacements (C)
ou montrer la stabilité de certains espaces (D).
Logiciel :ArcGis-Arc Info 9.0, traitements : pointgrid (500m),
focalsum (225 km ²), somme de grids, soustraction de grids,
isocluster, mlclassify.
E.Gauthier, Université de Franche-Comté, octobre 2006
B
A
densités de sites et
d'objets pour 225 km²
2619907
61349
No data
Exemple du Bronze moyen
densités combinées
de sites et d'objets
différents niveaux
de densité
1
2
3
4
5
No data
C
principales
concentrations
pour chaque phase
BF3
BF2
BF1
BM
D
nombre de périodes
concernées par de
fortes concentrations
1 période
2 périodes
3 périodes
4 périodes
No data
principales
concentrations
détermination des principales zones
potentielles de consommation du métal
évolutions des principales zones
au cours des 4 périodes
Fig. 6. Procédé mis en œuvre pour analyser les évolutions spatiales des principales zones de consommation du métal. (E. Gauthier)
stabilité des principales zones
de consommation du métal
au cours des 4 phases
L’isthme européen Rhin-Saône-Rhône dans la Protohistoire
152
Exemple du Bronze moyen
1 - Répartition ponctuelle
E. Gauthier - La consommation et la circulation du métal à l’âge du Bronze dans le Jura et les plaines de la Saône
Déplacement des points des sites des plaines
de Saône et du Jura occidental
Déplacement des points moyens des sites
de France orientale
BF1
BM
BF2
BF1
BF3
BF3
BF2
BM
N
0
20
N
0
40
40
Kilomètres
Kilomètres
Classes
Fréquence
5000
876
10000
117
15000
69 dans
Fig. 7. Comparaison du déplacement du point
moyen des découvertes
20000
53
la zone d’étude et dans l’ensemble de la France orientale. (E. Gauthier)
25000
43
L’organisation des territoires et 30000
des lieux de 15Ces deux calculs permettent alors de définir les
consommation est largement influencée
35000 par les 10paramètres les plus courants choisis par les popuchoix d’implantation des populations.
40000L’objectif 10lations de chaque étape, comme une « préférence
est de savoir si certaines conditions45000
du milieu ont 12générale ». Les sites ne répondant pas à cette défiété privilégiées, notamment les facteurs
50000 les plus 24nition peuvent ensuite être extraits pour tenter de
remarquables : le relief et la
oudistance
plus... aux cours
9comprendre les raisons pour lesquelles ils ont été
d’eau principaux. Le relief influence les conditions
choisis.
de vie et les activités. La proximité des cours d’eau
graphique uniquement
principaux, outre les ressources qu’ils apportent et
2.5. recherche des axes
de circulation majeurs
les facilités de circulation, autorise l’intégration des
populations dans les réseaux d’échanges à longue distance.
distance des sites aux cours d'eau principaux
Il s’agit donc, dans un premier temps,
de mesurer la distance de chaque unité
1000
900
de découverte au cours d’eau qui lui est
800
le plus proche. Il faut également tenir
700
600
compte de la précision de la spatialisa500
400
tion qui est de l’ordre de 5 km, nous ne
300
pourrons descendre en dessous de ce
200
100
seuil. Ces mesures regroupées sur un
0
même graphique montrent les distances privilégiées (fig. 8 et 9a). Le même
procédé est utilisé en tenant compte
distance (m)
de l’altitude moyenne des communes
pour définir les altitudes privilégiées
Fig. 8. Distance des sites aux cours d’eau principaux. (E. Gauthier)
(fig. 9b).
E. Gauthier, Université de
Franche-Comté, octobre 2006
...
00
ou
pl
us
00
50
0
00
45
0
00
40
0
00
35
0
00
30
0
00
25
0
00
20
0
00
15
0
10
0
50
0
0
sites
E. Gauthier, Université de
Franche-Comté, octobre 2006
153
L’isthme européen Rhin-Saône-Rhône dans la Protohistoire
proportion de sites
BM
72%
BF1
75%
BF2
72%
BF3
67%
BF1
73%
BF2
55%
BF3
60%
9a : Proportion de sites à moins de 5km des cours d'eau
proportion de sites
BM
63%
Fig. 9. Proportions de sites à moins
de 5 km des principaux cours d’eau
et à moins de 250 m d’altitude.
(E. Gauthier)
9b : Proportion de sites à moins de 250m d'altitude
Une approche de l’organisation des réseaux
d’échanges, et plus particulièrement des axes de
circulation privilégiés pour la circulation du métal,
peut être tentée en estimant l’importance des différents cours d’eau principaux qui traversent la
zone étudiée : la Saône, le Rhône, l’Ain, le Doubs,
l’Ognon. En projetant sur chaque axe divisé en
plusieurs tronçons (Mordant et al. 2004), la masse
des objets métalliques de chaque étape, trouvés à
proximité (10 km ont été estimés raisonnables en
fonction des résultats de l’analyse faite ci-dessus),
et en totalisant cette masse par tronçon, certains
cours d’eau ressortent et peuvent être interprétés comme des axes particulièrement attractifs.
L’analyse par période fait ressortir des évolutions
de l’organisation des réseaux dans la zone étudiée
(fig. 10, Gauthier 2005a et Gauthier 2005c).
3. La consommation du métaL
dans Le Jura occidentaL et Les
pLaines de saône en comparaison
de La France orientaLe
3.1. interprétation des évolutions
de la consommation du métal
L’évolution des différents paramètres analysés (fig.
2 à 5) montre plusieurs tendances intéressantes : le
nombre d’unités de découverte reste stable au cours
des premières étapes, puis il augmente fortement
à la fin du Bronze final. Le nombre moyen d’objets métalliques retrouvés par unité de découverte
reste sensiblement le même ; aussi, le nombre total
d’objets suit-il une évolution similaire, il est tout
d’abord faible au Bronze moyen, puis il augmente
légèrement avant de doubler à la dernière étape.
Pourtant, la masse totale de métal n’augmente pas,
en raison d’une faible masse moyenne des bronzes,
qui subit une diminution progressive tout au long
du Bronze final. Les dépôts du Bronze final ne sont
plus aussi souvent constitués de séries d’objets
lourds, tels que les haches et les lingots, mais ils
sont plus diversifiés et contiennent davantage de
parures, d’armes et, d’autre part, il s’agit en grande
partie de fragments. La valeur des dépôts ne réside
alors plus tellement dans la masse de bronze qu’ils
représentent, mais plutôt dans la valeur symbo-
154
lique et sociale des objets qu’ils renferment. Il en
va de même pour la production métallique dans
son ensemble : les parures en particulier ne sont
plus aussi lourdes qu’au Bronze moyen. Les petites
parures se font plus nombreuses, comme les colliers de perles, les chaînettes, les agrafes, les appliques, les boucles d’oreille…
Concernant les évolutions de la production métallique (fig. 3 et 4), le Bronze moyen est marqué
par une forte proportion de haches et d’éléments
de fonderie d’une part, retrouvés dans de lourds
dépôts et, d’autre part, d’armes et de parures
retrouvées plutôt dans les tombes. Mais les outils
restent peu nombreux et très peu diversifiés ; il
s’agit essentiellement de faucilles (75 %). Le Bronze
final verra, au contraire, une augmentation de la
part qu’ils représentent dans la production métallique, en particulier au Bronze final 3, et une diversification progressive des outils utilisés, avec l’apparition successive des marteaux, ciseaux et gouges.
Pourtant, les faucilles redeviennent majoritaires à
la dernière phase (74 %), car elles ont été retrouvées
en séries parfois très importantes dans des dépôts
tels que ceux de Larnaud, Briod ou Ray-sur-Saône.
On observe également des changements dans l’armement ; tandis qu’au Bronze moyen, les poignards
ou rapières sont majoritaires (57 %), les épées et
les pointes de lance prennent le dessus au Bronze
final (50 % d’épées et 37 % de pointes de lance au
BF1, 59 % d’épées au BF2, 80 % d’épées ou de pointes de lance au BF3). L’étape moyenne du Bronze
final voit aussi le développement des armements
défensifs, casques (Chalon-sur-Saône), cuirasses
(Saint-Germain-du-Plain).
De nouvelles familles apparaissent au cours du
Bronze final dans le domaine des ornements (tintinnabulum, sphéroïdes…), de la vaisselle métallique, ou du transport (éléments de char, harnachement). Tout indique une importante diversification
de la production métallique avec d’une part un
renforcement des objets dits « de prestige » (vaisselle métallique, char, armement défensif), et dans
le même temps un développement de l’outillage
et des ustensiles en bronze d’usage quotidien et
manuel, ce qui traduit à la fois une diffusion de
l’usage du métal au sein de la société et une différenciation de la valeur sociale des objets de bronze
plus importante.
BF1
BF2
BF3
N
masse totale (g)
0-2
3 - 1000
1001 - 2000
2001 - 30000
Les masses de métal des sites situés à moins de 15 km des principaux cours d'eau
de la zone étudiée ont été projetées sur les axes de ces cours d'eau et compilées
par sections de 30 km. Les masses ont été projetées sur la section la plus proche.
La largeur des tronçons représente donc la masse totale de métal retrouvée à proximité.
Sources IGN Géofla-Route 120
E. Gauthier, Université de Franche-Comté
Octobre 2006
Fig. 10. Projection linéaire des masses métalliques sur les axes des principaux cours d’eau. (E. Gauthier)
0
40
Kilomètres
155
E. Gauthier - La consommation et la circulation du métal à l’âge du Bronze dans le Jura et les plaines de la Saône
BM
L’isthme européen Rhin-Saône-Rhône dans la Protohistoire
Cette diversification de la production et des usages du métal s’observe notamment en contexte
d’habitats (fig. 5), et confirme qu’il ne s’agit pas
d’une tendance liée uniquement aux choix faits
lors de la thésaurisation, mais qu’elle touche aussi
la vie quotidienne des populations. Les outils et les
haches se retrouvent en contexte d’habitat dès le
début du Bronze final. Il est très probable que la
hache ait alors changé de fonction. Présente dans
les sépultures du Bronze moyen, elle pouvait alors
être considérée comme une arme. Dès le début du
Bronze final, la hache disparaît du domaine funéraire, il pourrait ne s’agir alors plus que d’un outil.
Les tombes du Bronze final renferment des objets
de l’équipement personnel, majoritairement des
parures, des armes, quelques outils sous forme
de couteaux. Un changement de la fonction des
haches pourrait ainsi expliquer la modification de
l’équipement funéraire, au moment où les haches
et les poignards sont supplantés par les épées et
les lances dans l’équipement du guerrier.
La constitution des dépôts évolue également beaucoup entre le Bronze moyen et le Bronze final. Au
Bronze moyen, les dépôts sont relativement petits
(en moyenne cinq objets par dépôt) et se composent principalement de haches et de lingots. Au
Bronze final, les dépôts comptent en moyenne dixhuit objets et sont davantage diversifiés ; toutes les
catégories fonctionnelles sont représentées, avec
une préférence tantôt pour les parures au Bronze
final 1, les parures, la vaisselle métallique et les
anneaux au Bronze final 2, les outils au Bronze
final 3. Néanmoins, la masse totale de bronze thésaurisée au Bronze final 2 est particulièrement faible (fig. 11), ce qui traduit une désaffection pour la
déposition du métal dans les tombes et les dépôts
probablement au profit d’un développement du
recyclage.
Des changements profonds de l’usage du métal
sont perceptibles. On peut en conclure à une production au départ centrée soit sur des objets de
l’équipement personnel du guerrier et de la femme
parée et qui sont représentatifs d’une position
sociale relativement élevée, soit sur des séries de
haches et de lingots dans des dépôts. Dans les
deux cas, il s’agit d’objets lourds, ce qui suggère
que la valeur des objets passe essentiellement par
la valeur du métal (une valeur économique) et sont
réservés à une certaine catégorie de la population.
À partir du début du Bronze final, les usages se
diversifient, une plus grande part de la population
accède au métal et les valeurs sociales des objets
masse de métal
thésaurisé :
se différencient, des objets utilitaires aux objets de
prestige. La masse moyenne est alors moins élevée,
car la valeur des objets passe par cette valeur symbolique ou sociale et non plus par la masse de métal
qu’ils représentent. La diminution de la déposition
du bronze au Bronze final 2 permet de recycler
davantage et ainsi d’augmenter la durée de vie du
métal et le stock en circulation pour satisfaire des
besoins toujours plus grands. De telles tendances
se retrouvent sur l’ensemble de la France orientale
et même en Transdanubie. (Gauthier 2005a)
3.2. L’organisation spatiale
de la consommation du bronze
Sur le plan spatial, le positionnement du point
moyen de la distribution des unités de découverte
de chaque période montre une très grande stabilité
générale de la zone d’étude (fig. 7, à gauche).
L’étape suivante a consisté à déterminer les principales zones potentielles de consommation du métal
par des méthodes d’algèbre de carte en prenant en
compte à la fois la répartition des objets métalliques et celle des unités de découverte (fig. 6, n° 3).
Leur répartition n’est pas homogène dans l’espace
et certaines zones ont une faible densité (en gris
clair) ou n’ont parfois fourni aucune donnée (en
blanc). Les principales zones de consommation
(zones foncées) sont généralement bien distinctes,
séparées les unes des autres par une cinquantaine
de kilomètres en moyenne. Elles couvrent entre 10
et 20 km et sont dispersées, notamment au Bronze
final 2. Elles peuvent aussi s’étendre le long d’un
cours d’eau, comme au Bronze final 1. Certaines
paraissent importantes à chaque phase ou presque,
notamment les régions de Chalon-sur-Saône et de
Lons-le-Saunier. Ce sont en effet les cours d’eau
qui attirent le plus, et la plupart des zones principales de consommation se répartissent le long de
la Saône, de l’Ognon et du Doubs.
Les cartes présentant les différences entre deux
phases successives donnent une information supplémentaire (fig. 6, n° 4) : elles traduisent les augmentations ou les diminutions des concentrations
en découvertes et l’intensité de ces évolutions. On
remarque que d’une manière générale le début du
Bronze final est marqué par une hausse du nombre des découvertes (zones hachurées), certaines
zones de consommation précédemment utilisées
perdent de leur influence, ce sont de nouvelles
zones qui jouent alors ce rôle. Un processus inverse
peut être remarqué au Bronze final 2, qui présente
BM
BF1
BF2
BF3
76 kg
109 kg
61 kg
103 kg
Fig. 11. Masse totale de métal
thésaurisé dans les dépôts, les tombes
ou isolément. (E. Gauthier)
Figure 11 : Masse totale de métal thésaurisé dans les dépôts, les tombes ou isolément
156
E. Gauthier - La consommation et la circulation du métal à l’âge du Bronze dans le Jura et les plaines de la Saône
Fig. 12. Répartition des sites à l’intérieur des principales zones de consommation du métal. (E. Gauthier)
157
L’isthme européen Rhin-Saône-Rhône dans la Protohistoire
une diminution globale de la densité des découvertes (zones grises) hormis dans quelques zones
qui étaient moins importantes à l’étape précédente.
On remarque également que les axes des cours
d’eau ne se renforcent pas, la Saône en particulier ;
ce sont au contraire des zones plus éloignées, en
marges, voire des sites de hauteurs qui semblent
se développer. Enfin, le Bronze final 3 montre à
nouveau de fortes concentrations le long des cours
d’eau et dans des zones très limitées.
On peut donc en conclure deux tendances, davantage mises en évidence lorsque l’on considère la
figure 6 (n° 5C et 5D, et fig. 12) : on constate une certaine stabilité générale ; ce sont souvent les mêmes
zones, situées en particulier le long des rivières,
qui présentent des concentrations (fig. 6, n° 5D, la
région de Chalon notamment). Néanmoins, les plus
importantes de ces zones ne sont pas les mêmes à
chaque étape et celles qui influent sur l’organisation de la consommation du métal changent et se
déplacent (fig. 6, n° 5C, le nord de la vallée de la
Saône essentiellement).
Chacune de ces zones principales de consommation comporte plusieurs unités de découverte, généralement un ou plusieurs habitats, des sépultures à
proximité ou plus éloignées et des dépôts (fig. 12).
Ces derniers ont tendance à être localisés relativement loin des sites d’occupation connus au Bronze
final 1 (fig. 12, d, f), alors qu’à l’étape suivante, les
dépôts sont souvent trouvés sur des communes
qui ont aussi fourni des indices d’occupation du
Bronze final 2 (fig. 12, a, b, e). Dans de nombreux
cas, la répartition des habitats et des nécropoles
forme une répartition régulière tous les 5 km environ à l’intérieur d’un territoire (fig. 12, c, d, j) ou le
long d’un cours d’eau (fig. 12, e, f, g). On remarque
également que des traces d’occupation (habitats et/
ou nécropoles) datant d’une même phase sont localisées sur des communes situées face à face de part
et d’autre d’une rivière (fig. 12, a, b, f).
Par ailleurs, la prise en compte de l’altitude des
sites et de leur distance aux cours d’eau montre
que ces facteurs ont pu jouer un rôle dans les choix
d’implantation des populations et l’organisation
de la consommation du bronze, puisque entre 57
et 72 % des sites étaient situés à moins de 5 km
des cours d’eau et 55 à 73 % des sites étaient à une
altitude inférieure à 250 m. Les sites ne répondant
pas à cette « définition » se situent pour la plupart
sur la bordure occidentale du Jura et, mis à part les
dépôts métalliques, il s’agit le plus souvent de grottes (Ambérieu, Les Planches-près-Arbois, Baumeles-Messieurs, Courchapon) ou de sites de hauteur
(Salins, Étaule, Montmirey, Rahon, Saint-Romain),
type de site qui se développe notamment aux deux
dernières étapes du Bronze final.
158
La proximité de la grande majorité des sites aux
cours d’eau principaux suggère qu’ils pouvaient
être des axes de circulation importants. Au Bronze
moyen, la Saône, l’Ain et le Rhône semblent dominants, tandis que la Saône est le seul axe véritablement privilégié au Bronze final 1, avant que
le nord de la vallée de la Saône ne soit supplanté
par le Doubs au Bronze final 2. Enfin, au Bronze
final 3, la Saône redevient l’axe le plus important
(fig. 10).
3.3. des tendances communes et
des spéciicités régionales
En comparaison de l’ensemble de la France orientale, les analyses effectuées sur les plaines de
Saône et la partie occidentale du Jura présentent
à la fois des tendances similaires mais aussi des
spécificités locales. Les évolutions générales des
modes de consommation du métal (augmentation
des besoins en métal, développement du recyclage,
diffusion du métal dans la société, diversification
de la production…), telles qu’elles apparaissent
d’après l’analyse des découvertes, sont globalement
les mêmes aux deux échelles et peuvent être aussi
comparées à la situation de la Transdanubie à la
même époque. Il pourrait donc s’agir d’évolutions
globales dans le complexe culturel nord-alpin. Les
pratiques liées à la thésaurisation du métal, c’està-dire la déposition dans les tombes ou les dépôts
sont également représentatives de tendances globales en France orientale et sont certainement
liées à des choix culturels. Enfin, la préférence des
populations pour les plaines et les vallées s’observe aussi nettement sur l’ensemble de la France
orientale, en particulier au début du Bronze final.
Mais on observe également certaines spécificités
régionales qui sont en rupture avec les tendances
observées à l’échelle de la France orientale. Tout
d’abord, une plus grande stabilité de l’occupation
de la zone d’étude, la distribution des sites évoluant assez peu, mais il faudrait aussi tenir compte
de vides dus au manque de connaissance de certains territoires. Certaines zones également sont
importantes à chaque étape et il faut dire qu’elles
tiennent aussi une place remarquable au niveau de
la France orientale.
Néanmoins, dans les évolutions globales des densités, le Bronze final 1 semble être une phase de
concentration le long de la vallée de la Saône. Le
Bronze final 2 est ensuite une phase d’expansion.
À l’échelle de la France orientale, on peut observer
une situation différente.
Remarquons aussi que les habitats de hauteur et en
grotte sont nombreux dans la région. La position
des camps de hauteur dominant des axes majeurs
E. Gauthier - La consommation et la circulation du métal à l’âge du Bronze dans le Jura et les plaines de la Saône
de circulation montre qu’ils ont structuré l’implantation des populations et la circulation du métal
dans toute la bordure occidentale du Jura.
Enfin, on remarquera un phénomène original et
spécifique à cette région : le nombre de faucilles et
leur déposition en séries. Sans compter le dépôt de
Larnaud, sur les 597 exemplaires de France orientale, 429 appartiennent à cette zone, soit 72 %, réparties dans essentiellement une trentaine de dépôts.
Comme l’avait montré Jacques-Pierre Millotte,
cette région est une zone importante de circula-
tion du métal. La Saône et les autres grands cours
d’eau qui la drainent sont des axes de communication privilégiés, puisqu’ils relient le Nord-Est
de la France au Rhône et de là à la Méditerranée.
La topographie du Jura offre de nombreux points
de contrôle de cette circulation. La région du Jura
occidental et des plaines de Saône occupe donc une
place privilégiée pour la consommation du métal,
dont les évolutions reflètent à la fois des tendances
probablement communes à l’ensemble du complexe
culturel nord-alpin, mais aussi des spécificités
régionales.
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